Fake it till you make it
À une époque où personne n’a plus le contrôle sur grand-chose — ni le climat, ni le monde du dating, ni le marché du travail, , les réseaux sociaux ont façonné une nouvelle croyance universelle : celle que l’on peut contrôler sa vie uniquement par la pensée. Parce qu’on a tous des rêves, plus ou moins influencés par l’océan de possibilités offertes par les réseaux sociaux. Certains se projettent multimillionaires dans une villa à Dubaï tandis que d’autres aspirent à des cheveux soyeux et le corps de Kim K.
Sur TikTok, Instagram et dans les podcasts de développement personnel, cette promesse donne l’illusion qu’on peut tout obtenir, à condition d’y croire suffisamment. Basé sur la loi de l’attraction, le manifesting impose de visualiser ses rêves intensément pour les voir se matérialiser. Mais pas n’importe comment : ce phénomène repose sur une variété d’outils comme le “journaling”, les vision boards ou les affirmations positives du type “répète dix fois devant un miroir à quel point tu es riche.”
Quand tout va bien, on manifeste l’inatteignable, encouragé par des coach spirituels qui prétendent avoir tout compris à la vie. Quand tout va mal, on manifeste en dernier espoir. Pas de stage, ni de job en sortie d’études ? La loi de l’attraction va s’en charger. Quid du FC chômage qui grandit sur TikTok. Si cette vision peut sembler libératrice, elle flirte pourtant dangereusement avec la positivité toxique, cette injonction à rester optimiste même quand tout s’effondre.
Gourous ou promoteur de bullshit
“Change ton mindset et tu trouveras l’amour de ta vie en quelques jours”, peut-on lire dans leurs descriptions. Ce qui a longtemps fait l’objet de moqueries devient aujourd’hui le pilier de croyances qui guident toute une génération en quête de sens. Les tutoriels top 5 des meilleures affirmations affluent, et ce que Karl Marx appelait “l’opium du peuple” se matérialise à travers des rites 2.0. Certains relayent des mélodies à 432hz pour attirer une énergie positive, d’autres promeuvent des techniques mystiques. Et si ça ne fonctionne pas, c’est que vous ne le faites pas correctement :
Parce que manifester, on l’apprend des plus grands, ces figures charismatiques aux storytellings bien huilés. L’ascension sociale est, bien souvent, leur argument. Autour d’eux, une communauté de croyants se forme, prête à investir leur temps, voire leur argent. Parce qu’ils en sont convaincus : l’univers va le leur rendre au centuple.

Parfois, il ne suffit même pas de le vouloir activement. Tant que votre FYP* a bien compris que vous voulez attirer bonheur et succès, les signes viennent à vous. Et ce qui ne sera que le fruit du hasard deviendra une preuve de plus que ça marche. C’est ce qu’on appelle l’effet placebo : notre mental agit sur notre perception, simplement parce qu’on pense que ça va fonctionner. Mais croire que ça marche, est-ce vraiment faire en sorte que ça marche ?
Si c’était si facile, tout le monde le ferait
Croire en soi, c’est une chose. Mais se faire croire que penser très fort à ses objectifs suffit à les atteindre en est une autre. Le manifesting fait miroiter une forme de contrôle absolu sur la vie, alors qu’il repose simplement sur un espoir. Un espoir déguisé en méthode, vendu avec des playlists inspirantes et des promesses creuses. Ce genre de culte fait tomber les adeptes de la manifestation dans une vision erronée de la réalité. Ils passent tellement de temps à penser qu’ils en oublient d’agir sur leur propre réalité. Manifesting des cheveux soyeux et des ongles longs, comme si l’huile de ricin n’était pas plus efficace.
Ce glissement mène à ce que le psychothérapeute John Welwood appelle le contournement spirituel : expliquer des problèmes profonds avec des réponses spirituelles toutes faites, pour éviter de confronter la réalité. Une manière douce de fuir, mais une fuite quand même. Le mouvement collectif devient alors un objet de désillusion. Et quand ça ne marche pas, ce n’est pas la méthode qu’on remet en question, c’est soi. Comme si on n’y avait pas suffisamment cru, nous chuchote la culpabilisation.
La psychologue Susan David, spécialiste des émotions à Harvard, le dénonce comme un mécanisme qui revient à se couper de sa propre humanité :
Alors plutôt que de chercher la bonne formulation et d’attendre les heures miroirs, peut-être devrait-on simplement commencer par observer ce qu’on essaie d’éviter : le réel. L’embrasser dans toute sa complexité et faire avec ce qui est là, au lieu de fantasmer ce qui pourrait être. Reconnaître qu’il n’y a pas de raccourci, juste des choix, des renoncements, et parfois des difficultés. On est désolés de vous l’annoncer : on ne deviendra pas tous multimillionnaires (même en le répétant trois fois devant le miroir tous les soirs.)
*La FYP (For You Page) est la page d’accueil de TikTok où l’algorithme propose du contenu adapté à tes habitudes de consommation. C’est là que naissent les tendances, et où notre fil devient le miroir de nos pensées.
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